« De la disparition  du passé, on se console facilement ;
c’est de la disparition de l’avenir qu’on ne se remet pas. »
 Amin Maalouf, Les désorientés

Dans les médias, les statistiques et les livres d’Histoire, les réfugiés forment un groupe anonyme, sans personnalité ni vécu singulier. C’est à la recherche de cette individualité que j’ai rejoint pour quatre mois l’ONG Relief & Reconciliation for Syria, au Liban. Suleiman, 29 ans, a accepté de me raconter son parcours, de sa Syrie natale à la région de l’Akkar qui l’accueille depuis trois ans.

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Les montagnes de Mont-Liban

Son récit m’a emmenée dans la campagne riante d’Al-Qousseir et les universités de droit de Homs et d’Alep. Moi qui ne connaissais la Syrie que par le conflit qui la ravage, j’ai eu un aperçu de la vie d’avant-guerre, de ses habitants, et pu sentir leurs plaisirs, espoirs et projets.

A partir de 2010, Suleiman observe le Printemps arabe et ses conséquences en Tunisie, en Égypte, puis dans son propre pays. Il n’est pas un héros de la Révolution et se tient à l’écart des militants. Il témoigne de l’incertitude ambiante, du calme et de la dignité des manifestations. La brutalité de la répression gouvernementale enclenche une spirale de violence irréversible.. A ses côtés, nous suivons la militarisation des combats, la balkanisation de l’opposition et l’immixtion progressive de puissances extérieures comme l’Iran, le Hezbollah libanais, l’Arabie saoudite ou la Russie.

Ne prenant pas les armes, Suleiman vit la guerre avec les civils. Il raconte les pénuries croissantes, la crainte des milices et l’incrédulité face aux bombardements de sa propre armée. Il décrit les initiatives de solidarité qui se mettent en place et l’ingéniosité des siens pour survivre malgré la déliquescence de leur univers.

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Équipe de football improvisée à Tripoli, Liban

En 2013, Al-Qousseir est attaqué par les fidèles de Bachar al-Assad et devient invivable. Suleiman et les siens s’enfuient au Liban, lequel accueille actuellement 1,5 millions de réfugiés. Commence alors pour eux une nouvelle vie d’errance et de débrouille marqué par la crainte des contrôles d’identité, la précarité matérielle, le regret des disparus.

Désireux de se rendre utile, Suleiman s’engage bénévolement dans de nombreuses ONG et nous introduit dans leur univers de toiles de tente, d’immenses poubelles et de logos bariolés. Le jeune homme critique l’attitude de la communauté internationale dans cette crise humanitaire. De citoyen syrien, il lui semble être devenu une donnée statistique ressassée avec compassion ou alignée méthodiquement. Frustré de ne pouvoir prétendre à un emploi ni fonder une famille, il exprime son besoin de soutien matériel, mais aussi et surtout d’opportunités et de reconnaissance.

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Jeune Syrien réfugié au Liban accueillant le visiteur dans sa baraque de fortune

Ce récit est le fruit de quatre mois de discussion et d’échanges au cours desquelles j’ai appris à connaître Suleiman et ai découvert son cadre de vie. Je me suis assurée de sa représentativité en croisant avec d’autre témoignages, des analyses politiques et des rapports humanitaires. Illustré de nos propres photos et dessins, l’article vise à partager cette rencontre. Notre démarche ne prétend pas fournir de vérité exhaustive sur le conflit et la protection des réfugiés. Nous espérons, par un témoignage étayé de faits, aider le lecteur à comprendre d’où viennent les Syriens et à quoi ils aspirent aujourd’hui.

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