Dans une tribune, Foudil Benabadji, membre du Comité directeur de la Fraternité d’Abraham et administrateur de la Conférence mondiale des Religieux pour la Paix, constate :

  • Que les « dérives » en France et en particulier le terrorisme islamique est un sujet grave. C’est un sujet de sécurité nationale.
  • Que la laïcité est de plus en plus contestée, particulièrement dans le monde musulman. Pourtant, celle-ci est indispensable, rappelle-t-il.

Il propose des solutions, passant par l’enseignement, le dialogue et des expositions. La parole lui est donnée.

Un constat dramatique

De plus en plus de jeunes Français montrent un désintérêt à l’égard de nos principes républicains, la laïcité en tête. Une partie d’entre eux conteste directement ces principes fondamentaux qui font notre République. Si ce constat s’appuie aujourd’hui sur de nombreuses statistiques, études et sondages, j’écris ici aussi en tant qu’éducateur spécialisé et comme référent des aumôniers musulmans, confronté à cette réalité, depuis une trentaine d’années.

Le phénomène sectaire et l’emprise mentale ont fait 276 morts sur notre territoire. Face à cette situation, l’aveuglement ou le déni sont la marque de postures déconnectées du terrain. Les problèmes de notre société ont permis à Daesh de renaitre en Irak, et de reconstituer des dormants en France et en Europe. La tête de l’hydre de Daech n’est certainement pas éradiquée en totalité. Qui peut certifier que l’organisation terroriste ne se mue pas, aussi, vers d’autres formes ?

Cette situation parasite malheureusement toute démarche pour évoluer. Une sclérose paralyse aujourd’hui notre société ; un mode de vie en chasse un autre. Notre XXIe siècle est noyé dans la déliquescence. La dépravation islamiste, la souillure religieuse rivalisent dans une infecte abjection.

Il faut se prémunir de ce fléau en préparant autrement nos enfants. Est-ce la naïveté, l’inconscience ou l’innocence qui nous mènent ? Nous avons écarté la morale, le civisme et la civilité de l’enseignement dans nos écoles publiques.

L’absence d’une prise en main éducative, d’une instruction sur le fait religieux contrecarre la quête des questions existentielles de notre jeunesse ! De plus en plus vulnérables, les jeunes sont sensibles aux replis identitaires et aux porteurs de messages sectaires. En recherche de valeurs, ils prennent l’habitude de se tourner vers des sources d’information plus faciles et plus accessibles : « Cheikh Google ou Papa Google et les Fake News ». Ces derniers font d’eux des proies faciles.

Quand vous avez de véritables ghettos ethno-religieux livrés aux puissances obscurantistes et extrémistes, quand vous avez des enfants qui sont déscolarisés et placés dans des écoles prétendument religieuses et qui, dans les faits, sont, dans des écoles gérées par des « Frères musulmans » ou par des opuscules salafistes, comment mener une politique efficace afin de ne pas faciliter la tâche aux recruteurs extrémistes et endoctrineurs ? Suivre des islamistes érigés en représentants des musulmans de France, c’est bien ce cheminement identitaire idiot qui est demandé à nos jeunes enfants !

La responsabilité de notre société

Ce qui est inquiétant aujourd’hui, c’est autant l’islamisme rampant que ceux qui, en France, décrédibilisent ce discours. Les terroristes sont dans leur rôle pour tuer. C’est la société qui n’est plus capable d’assumer le sien. Oui, ce combat mérite d’être mené. Il faut instaurer une politique de la ville, instaurer une vraie prévention des dérives.  L’État républicain, d’abord conçu comme un garant des libertés, est de plus en plus perçu comme un aliénateur de ces dernières (Leur critique de l’État est une critique d’efficacité : on ne cherche pas à détruire l’État, on cherche à le rendre meilleur, plus moderne, plus efficace).

La laïcité, c’est la liberté. Même si ce concept n’était pas mis en danger au quotidien, nous devons malgré tout, nous battre pour l’entretenir. C’est un bien si précieux, si fragile, qu’il ne peut pas être acquis « ad vitam aeternam ». Ce serait de l’inconscience et de la bêtise de dormir sur nos deux oreilles.

Ce qu’il faut faire

Il ne faut pas faire d’amalgame ni de stigmatisation, mais il faut dénoncer ces petits hommes de pouvoir qui sont capables de céder à toutes les compromissions pour seulement gouverner un temps. Le clientélisme fait partie des pratiques illégales. C’est une faveur accordée en échange de son vote. Ils sont allés, pour être élu, dans toutes ces communes qui ont vu fleurir l’islamisme dans sa forme la plus barbare : la Seine Saint Denis, Sevran, Lunel, Grenoble, en Belgique : Mollenbach, etc. Ces « dérives islamiques » n’ont pas fleuri toutes seules, on les a un peu aidées, on leur a préparé le terrain !

Alors que faire pour inverser la tendance, montrer l’utilité de la loi du 15 mars 2004 sur la question du port du voile et sur les convictions religieuses qui ne donnent pas le droit de s’opposer à un enseignement ; ce sont des exemples typiques de ces contestations.

La priorité

La priorité serait peut-être de commencer à sensibiliser le corps enseignant à une « culture éthique et religieuse », formulation qui permettrait de rendre sa place aux valeurs, sans pour autant transformer l’enseignement en catéchisme. Il s’agit de crédibiliser une politique publique aujourd’hui atone. Le ministre de l’Éducation nationale a dénombré, dans les écoles, collèges et lycées, 627 signalements pour des atteintes à la laïcité de décembre 2021 à mars 2022 (Pap Ndiaye dans une interview au Parisien). Le tableau général est celui d’un délitement progressif du réseau dense des services publics qui s’était développé à compter de la fin du XIXe siècle.

La France est le pays des droits de l’Homme, de la liberté et de la laïcité ! Marqué par son obédience laïque, tous se disent : « laïcs ». Mais rares sont ceux qui peuvent décrire en une ou deux phrases ce qu’est la laïcité. Ainsi, la laïcité, héritée de la tolérance en particulier d’Aristide Briand, a dévié vers le « laïcisme des laïcards ».

On connait les bribes des fondamentaux : La laïcité repose sur trois principes : la liberté de conscience et celle de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions. Et quand on a dit tout cela, après une carrière dans la Protection Judiciaire de la Jeunesse, (PJJ), puis vingt-trois années en tant qu’aumônier dans deux établissements pénitentiaires en Savoie et trente années dans trois établissements hospitaliers, on se retrouve démuni…

L’opposition à la laïcité

Manifestement, il y a une vraie réticence pour l’adoption de la laïcité dans de nombreux milieux et aussi celui des imams et des aumôniers musulmans. Cette méconnaissance encourt des difficultés et est à l’origine des drames.

Pour exemple : Abdel-Malik Petitjean, l’énigme d’une bascule que personne n’avait vue. L’adolescent fréquentait la mosquée « Salam » à Aix les Bains, (lieu de culte dont je fus le fondateur en 1987). Les responsables ont expliqué n’avoir décelé aucun signe de radicalisation. Devenu terroriste, il est allé tuer un prêtre, le père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray avec un autre camarade. Aujourd’hui, ni sa mère, ni les responsables de la mosquée ne comprennent le pourquoi de son geste !

L’hôpital public n’est pas épargné, non plus, par le radicalisme religieux. Comme dans d’autres services et établissements publics, le prosélytisme religieux et les atteintes à la laïcité constituent « une réalité et un risque à l’hôpital », a alerté l’urgentiste Patrick Pelloux, avant de quitter sa fonction. « Nous voyons bien vaquer dans les hôpitaux les burqas et les niqabs !».

La foi s’oppose-t-elle à la laïcité ?

Ce concept, toutefois, reste obscur, davantage pour les aumôniers musulmans. Cette formation devient essentielle pour cette population. Cela d’autant que les sondages montrent qu’une grande majorité de musulmans accordent une importance prioritaire à la croyance et manifestent des réticences à l’idée « d’adopter » la laïcité : « Je ne veux pas de l’incroyance ! » ? Cette dernière est injustement apparentée à l’athéisme. La dévotion, la piété́, le rappel des pratiques rituelles et l’au-delà sont les préoccupations essentielles des aumôniers musulmans.

Référent d’une vingtaine d’aumôniers hospitaliers, issus des trois pays du Maghreb, de Turquie, et des Comores, ils sont tous animés d’une foi inébranlable, d’un besoin « de voler au secours d’autrui ». Soumis à des devoirs religieux : « Je fais ça pour le Bon Dieu, pour des ‘hassanettes’ (concourir pour le paradis). Ce sont des fidèles de la mosquée, des croyants toujours disponibles, miséricordieux.

Certains n’acceptent pas les avantages matériels offerts par la direction de l’hôpital : « On n’a pas besoin de défraiement. Nous ne voulons pas de remboursements de quoi que ce soit !». « Nous œuvrons pour « Rabbi !». Une bénévole nous dévoile son bonheur : « Tous les dimanches, je vais au marché avec un billet de 50 euros. Je le répartis aux nécessiteux, aux mosquées qui demandent de l’aide, etc. J’ai besoin de donner aux pauvres !».  La nécessité d’aider est vivace chez beaucoup de musulmans ! Nous sommes dans la finitude laïque, issue d’une problématique religieuse, avec les philosophies existentielles de Heidegger et de Sartre notamment.

La loi protège ma foi

Alors que faire pour inverser la tendance, à l’heure où les jeunes confondent souvent laïcité républicaine et tolérance à l’anglo-saxonne ? Elle nous protège contre les assignations identitaires qui se multiplient dans cette période troublée. Musulman, j’ai la conviction profonde que ces lois si contestées, loin de remettre en question ma foi, la préservent et la protègent. Il en va de même pour ceux de ces jeunes qui se livrent aux injures, aux insultes et aux menaces de mort contre Mila. Cette « tenaille identitaire » théorisée par Gilles Clavreul est une réalité, j’y suis confronté régulièrement.

Mon ambition laïque a débuté voilà une quarantaine d’années. Cette question de la laïcité restera longtemps, une question d’actualité. Elle est centrale en France. Les bienfaits de cette constance sont pour tous les futurs agents de l’État de la France de demain.

La laïcité dans le monde musulman

Cependant l’islam a bien connu une forme de laïcité avec les Mutazilites et Averroès. Elle avait un nom : « Elmania ! ». La Turquie a créé, avec Mustapha Kemal Atatürk, (1881-1938), le premier État laïque dans le monde musulman ! Il y eu un passé où la laïcité est entrée dans le corpus des mœurs musulmanes. Pourquoi, aujourd’hui, son bannissement ? Face à ce blocage culturel, l’extrême droite me refuse la qualité de citoyen en raison de ma confession et d’autres ne m’envisagent que comme un « Arabe de service » parce que j’aime la République, parce que j’aime la France. C’est pour cela que nous, musulmans laïcs, sommes parfois en colère !

Former à la laïcité, publier, dialoguer

Il n’y a pas de formation en France à la hauteur de ce manque. Le retard est grand ; la méconnaissance chez nos aumôniers musulmans est abyssale. Les sachants doivent considérer ce chantier comme obligé, nécessaire. Il serait judicieux d’y mêler les médias et habituer nos populations à ce concept pour le banaliser. Républicain et laïque, je veux dialoguer avec des esprits éclairés et partager l’écriture de mes ouvrages (« La laïcité́, une conquête de l’esprit humain » Préfacé par Hervé Gaymard). Former, c’est aussi dialoguer, échanger pour apporter, recevoir et ensemencer.

Au « Comité directeur de la Fraternité́ d’Abraham » depuis 40 ans, une antenne locale en Savoie s’est créée : « l’Union des Enfants d’Abraham », (UDEA). Autant d’années d’investies dans la « Conférence Mondiale des Religions pour la Paix » en innovant avec la création d’une revue – CMRP -. Elle était constituée de plusieurs pages, dont quelques-unes en couleurs.

Les « dérives » islamiques sont à l’origine de l’émergence de « l’Association de Recherche sur les Processus de la Radicalisation » ASPRA. Nous avons soustrait des griffes de Daech trois gamines en voie de radicalisation. Ces dernières recherchaient à se rendre en Syrie et rêvaient de convoler avec leur ‘coach’, un des tueurs.

Des outils pratiques

Face à ces « dérives », à ce déficit du concept laïc dans la cité, des outils ont été créés :

  • Des panneaux en exposition pour expliquer le « Fait Religieux ». (Panneaux financés par le Conseil général, devenu Conseil départemental, présidé par Hervé Gaymard)

Dans les quarante-deux panneaux créés, en infographie de 60 sur 80, chacune des religions y est représentée par trois panneaux, jusqu’aux religions les moins connues. Les articles de loi sur l’enseignement du fait religieux à l’école ont été menés par le député-maire d’Aix-les-Bains, Dominique DORD en 2015, (Proposition de loi n° 2515), sur la base de mes panneaux.

  • Un diaporama pour expliquer les « dérives sectaires » et le « Processus de Radicalisation »
  • A la suite de chaque exposition, des conférences s’effectuent.

Elles sont interreligieuses : (entre Juif, Catholique, Protestant, Musulman et parfois Bahaïe et Bouddhiste). Le public adulte manifeste sa satisfaction : « Ça fait plaisir de voir toutes les religions ensemble ! ». Après une dizaine de jours d’exposition, ces conférences bouclent la fin des rencontres.

  • Le site Education citoyenne et dérives propose :
    • Une approche des fondamentaux : la « laïcité » et le « Fait Religieux», grâce à des outils proposés et des « textes spécifiques»,
    • et des informations sociétales : plus de 3000 textes.

Un précédent travail a été édité sur le site et la revue de la Fraternité d’Abraham N° 190,

 

 

 

 

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