Un père commun

Les Juifs

Depuis près de 4 000 ans les juifs se reconnaissent comme fils d’Abraham, car il est le premier à avoir identifié le vrai Dieu, Celui qui a créé le ciel et la terre. Il ne s’agit pas d’une descendance ethnique, mais spirituelle et morale, sauf peut être pour quelques tribus qui pourraient véritablement se réclamer des trois grands patriarches (Abraham, Isaac et Jacob).

« Mon père était un araméen errant qui descendit en Egypte et c’est en petit nombre qu’il vint s’y réfugier, avant d’y devenir une nation grande, puissante et nombreuse… Le Seigneur nous a conduit ici et nous a donné ce pays où ruissellent le lait et le miel. » Dt 26, 5 à 10.

Telle est la profession de foi de tout bon Israélite .

Abraham, l’élu de Dieu, éprouvé dans sa foi , se voit promettre une descendance nombreuse qui en fait un père comblé.

« Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre, en retour de ton obéissance » Gn 22,18

Il est important de souligner la générosité de cette promesse qui concerne non seulement Israël, mais toutes les nations. Cf Si 44 ,21.

Ainsi donc si les destinées de l’humanité pécheresse furent esquissées en Adam, celles de l’humanité sauvée le sont en Abraham. Cf VTB p3.

Les Chrétiens

Les chrétiens qui furent d’abord un petit groupe de juifs qui reconnurent le Messie promis par les prophètes en la personne de Jésus de Nazareth, n’eurent aucune difficulté à se reconnaître fils d’Abraham.

St Paul lui consacre un chapitre de l’épître aux Romains et écrit : « Il est notre père devant celui en qui il a cru, le Dieu qui fait vivre les morts et appelle à l’existence ce qui n’existe pas. » Rom 4,17.

Dans l’épître aux Galates il est encore plus clair: “ et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham; selon la promesse vous êtes héritiers.” Gal 3,29

Cependant, une difficulté importante va surgir. Dans les évangiles, il n’y a plus de consensus entre juifs et chrétiens sur cette notion de fils d’Abraham.

Jean le Baptiste va reprocher aux Pharisiens et aux Sadducéens leur manque de sincérité dans leur conversion: « … ne vous avisez pas de dire en vous mêmes : Nous avons pour père Abraham. Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham”. Matt 3,9

Dans St Jean la polémique entre Jésus et les Pharisiens sur la question de savoir qui est un véritable fils d’Abraham va enfler.  » Si vous êtes enfants d’Abraham, faites donc les œuvres d’Abraham. Or vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue auprès de Dieu  » dit Jésus Jean 8,40 et ss

Jésus provoque d’ailleurs la colère de ses interlocuteurs en déclarant : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût , Je suis » Jn 8, 58.

Les premières communautés chrétiennes devront donc vivre cette tension et cette incompréhension avec ces autres fils d’Abraham que sont les juifs demeurés strictement fidèles à la loi léguée par Moïse.

Les musulmans

Pour les musulmans venus au VI e siècle ap JC, Abraham est aussi le père des croyants. Lorsque son Seigneur éprouva Abraham par certains ordres et que celui-ci les eut accomplis, Dieu dit:

« Je vais faire de toi un guide pour les hommes. »
Abraham dit:
« Et pour ma descendance aussi ? »
Le Seigneur dit:
« Mon alliance ne concerne pas les injustes ». Sourate II, v134

Il y a cependant une réserve importante concernant les injustes. Dans un autre passage du Coran, dans la sourate intitulée « Abraham », il est écrit:

« Abraham dit:
Mon Seigneur!
Fais de cette cité un asile sûr,
Préserve nous, moi et mes enfants d’adorer les idoles. XIV, 35
….
Mon Seigneur
fais que je m’acquitte de ma prière
moi, ainsi que ma descendance.
Exauce ma prière, ô notre Seigneur« . Sourate XIV, 49

Ces versets indiquent clairement que pour la foi des musulmans Abraham est un modèle, car il a refusé d’adorer les idoles et que, ce faisant, il est aussi pour eux un père.

Une fraternité qui rencontre beaucoup d’obstacles

Dans l’Arabie où vécut Mohammed il y avait là depuis des siècles des juifs qui s’étaient établis et divers groupes de chrétiens très différents mais dont beaucoup ignoraient ou refusaient les grandes affirmations des premiers conciles (Nicée, Constantinople, Ephèse et Chalédoine). Mohammed les a rencontrés avant l’expérience spirituelle qui donna naissance aux sourates du Coran.

Il est permis de penser que l’on trouve un écho de cette grande diversité dans ce verset.

Les Juifs ont dit:

« les Chrétiens ne sont pas dans le vrai ! »

Les Chrétiens ont dit:

« Les Juifs ne sont pas dans le vrai!
et pourtant ils lisent le Livre.
Ceux qui ne savent rien prononcent les mêmes paroles;
Dieu jugera entre eux
le Jour de la Résurrection,
et il tranchera leurs différends. » II, 113

Remarquons la sagesse et l’humilité de ce verset, car Dieu seul peut nous éclairer sur ce différend. Mais la simple citation de ces passages montre que la fraternité entres les trois religions monothéistes sera toujours difficile, car dès l’origine de profondes divergences doctrinales sont apparues, et ce sur des sujets fondamentaux.

Une longue histoire de conflits et d’incompréhension

Impossible de résumer les trois siècles de persécutions des chrétiens tantôt par les juifs, tantôt par les Romains. Puis la longue histoire des persécutions antijudaïques, ou antisémites en Europe, jusqu’au XXè siècle dont nous portons les cicatrices douloureuses aujourd’hui encore, les conflits séculaires entre les califats musulmans et les puissances occidentales dont les croisades furent les épisodes les plus emblématiques.

Notre mémoire de croyants est chargée de ces souvenirs douloureux, adoucis heureusement par des personnalités rayonnantes et exceptionnelles dans les trois religions. La guérison de nos mémoires tout autour de la Méditerranée est loin d’être accomplie. Sur d’autres continents, en Afrique et en Orient des confrontations violentes se produisent encore aujourd’hui.

Une utopie indispensable

Cependant les signes encourageants viennent de plusieurs horizons.

Du côté de l’Eglise catholique, c’est incontestablement les prises de position maintenant relativement bien connues du Concile Vat II qui vont marquer un tournant et seront à l’origine de la fondation de notre petite fraternité. Citons quelques lignes:

L’Eglise regarde aussi avec estime les musulmans qui adorent le Dieu Un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout puissant, créateur du ciel et de la terre…. Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. (Déclaration sur les religions non chrétiennes n° 3)

Dans cette ligne là, les papes Jean Paul II, Benoit XVI et le pape François n’ont cessé d’appeler au dialogue et en demandant aussi la réciprocité. Soulignons l’exceptionnelle rencontre au Vatican, à la Pentecôte 2014, du Patriarche Bartholomée, du Président juif de l’Etat d’Israël, et du Président musulman de l’Autorité palestinienne, réunis autour du pape François pour implorer le don de la paix.

Vis à vis de la religion juive des avancées très remarquables ont été faites dans cette même déclaration et ont complètement changé le climat entre les deux institutions. Citons simplement:

l’Eglise croit, en effet, que le Christ notre paix , a réconcilié les juifs et les gentils (non juifs) par sa croix et en lui même des deux , a fait un seul.Eph 2, 14-16.

Du côté des Juifs de nombreuses initiatives tant vis à vis des chrétiens que des musulmans fleurissent malgré les lourdeurs des temps. Citons l’amitié Judéo chrétienne, AJC, l’amitié judéo musulmane, et beaucoup d’autres…

Devant la terrifiante explosion de violence des extrémistes de DAECH, des musulmans ont pris des positions très fermes montrant qu’il s’agissait de déviances intolérables :

  • Déclaration du CFCM, du Recteur de la Grande Mosquée de Paris, l’appel des musulmans de France en septembre 2014,
  • Lettre des 120 savants musulmans en septembre 2014 : « IL EST INTERDIT DANS L’ISLAM DE TUER DES INNOCENTS ». Un résumé en 24 points expose les fautes commises par le chef autoproclamé du « califat » au regard du droit et des sciences islamiques. Des erreurs longuement commentées, références à l’appui, dans ce texte d’une vingtaine de pages,
  • l’initiative récente de l’université AL-AZHAR en Egypte…

Revenir à la source et regarder l’avenir

La situation d’extrême tension, en ce moment symbolisée par les incidents nombreux à Jérusalem sur l’esplanade des mosquées, qui est aussi le lieu de l’ancien Temple juif, invite les fils d’Abraham à revenir vers Dieu dans une conversion authentique et toujours à approfondir. La fraternité peut sembler parfois être au dessus des forces humaines, mais elle sûrement voulue par Dieu.

Quand la haine déferle, rappelons nous que nous avons tous été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26), que nous avons le même patriarche Abraham et une espérance commune : celle de la résurrection des morts au Dernier Jour, dans la Jérusalem céleste.

« Le Seigneur a fondé Sion sur les montagnes saintes
il en aime les portes
plus que les demeures de Jacob
Certes, c’est en Philistie, à Tyr ou en Nubie,
que tel homme est né.
Mais on peut dire de Sion :
En elle, tout homme est né. » Psaume 86

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