Été des canicules, des conflits et des incertitudes

« Mois des floraisons, mois des métamorphoses,
« Mai qui fut sans nuages et juin poignardé,
« Je n’oublierai jamais les lilas et les roses,
« Ni ceux que le printemps dans ses plis a gardés.

Ces vers d’Aragon évoquent ce printemps de 1940, prélude à quatre années de guerre et d’occupation mais qui fut aussi le printemps de l’appel au combat et à l’espoir du 18 juin.

Quel poète évoquera cet été de 2018, été de canicule et d’incendies dévastateurs, frappant jusqu’au cercle arctique et annonciateurs d’un changement climatique qui nous affectera tous. Message autrement plus percutant que la démission d’un Ministre de l’environnement, mais que nous peinons à entendre.

Été d’incertitudes et de conflits, en France, en Europe, au Proche-Orient, en Asie et jusqu’en Amérique latine, avec son cortège de réfugiés vénézuéliens, que nous peinons à reconnaître, surtout quand médias et politiques nous distraient, des semaines durant, par les méfaits d’un agent de sécurité de la Présidence de la République.

Dans le monde, une source majeure d’incertitudes est la politique du Président Trump.

« Rendre sa grandeur à l’Amérique » (Make America Great Again) pourrait être interprété comme un retour à l’isolationnisme des États-Unis qui a caractérisé les années ’20 et ’30 et favorisé l’émergence des totalitarismes et l’affaiblissement de la Société des Nations, aboutissant, in fine, à la Deuxième Guerre mondiale.

Face à cet « éléphant dans un magasin de porcelaine », l’Europe désunie reste impuissante. Elle pourrait, en coordonnant de manière décisive les politiques fiscales et sociales de ses divers membres autour de l’Euro, faire de cette monnaie une devise alternative incontournable face au Dollar. Ce qui donne aux États-Unis leur principale force dans le monde est le fait que le Dollar représente toujours près des deux-tiers des réserves de change des banques centrales du monde (contre 20% pour l’Euro), ce qui est sans commune mesure avec la taille de l’économie américaine (20% du PIB mondial) mais explique que le Dollar est la devise qui finance toujours la majorité des échanges mondiaux.

L’Europe a d’autres raisons de s’unir financièrement, économiquement, politiquement : elle reste exposée à l’Est à la volonté de la Russie de réaffirmer avec Poutine son influence dans toute cette Europe balte, polonaise, roumaine et bulgare où elle était encore, il y a peu, hégémonique. L’Europe des Six, fondatrice de l’UE, ne s’est pas assez souciée des préoccupations de ces PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale) dont elle a, légitimement, favorisé l’intégration rapide à l’Union Européenne.

L’émergence d’une identité européenne se fera dans la durée : le programme éducatif et culturel Erasmus y contribue puissamment : il a permis, depuis sa création en 1987 et jusqu’en 2013 à trois millions de jeunes Européens de se former pendant une année universitaire dans un pays autre que le leur.

Depuis 2013 le programme se poursuit au rythme de près de 300 000 étudiants par an auxquels se joignent, depuis 1997 un nombre croissant d’enseignants, actuellement près de 40 000 annuellement. On estime que depuis 1987 un million de naissances auraient été le fruit de ces échanges !

Une meilleure connaissance de l’Europe doit être enseignée dès l’école primaire, avec l’apprentissage généralisé d’au moins une langue étrangère et sa littérature et une attention portée à notre histoire et nos origines communes avec le double héritage de la civilisation gréco-romaine et du monothéisme judéo-islamo-chrétien.

Dans chacun de nos pays respectifs, nous devons mieux faire connaître l’UE à nos concitoyens et les avantages que nous retirons d’appartenir à un ensemble aussi étendu, riche et diversifié, plutôt que de nous recroqueviller sur nos divers espaces nationaux traditionnels, trop petits pour faire le poids face aux géants mondiaux  que sont les États-Unis et la Chine et demain l’Inde, sans oublier la Russie qui veut s’affirmer. Sans oublier aussi les conflits à nos portes dans la Méditerranée et aux Proche et Moyen Orient ni les défis venant d’Afrique à la démographie galopante et qui est menacée par le réchauffement climatique et la sécheresse. Seule une Europe unie et forte nous permettra d’affronter ces nouveaux défis et ces nouvelles menaces.

Le nouveau programme de la Fraternité d’Abraham : « La Méditerranée, berceau et devenir de l’Europe » vise à nous permettre de mieux nous connaître, nous Européens, à partir de notre histoire et de nos origines communes.

En cet été caniculaire – qui nous rappelle opportunément les conséquences du réchauffement climatique dû principalement à l’action humaine à savoir nos émissions excessives de gaz à effet de serre – nous avons oublié que les conflits se poursuivent au Proche et au Moyen Orient avec leur cortège de destructions, de victimes et de personnes déplacées. Ces conflits ont des causes multiples qui s’entre-croisent et compliquent tout dialogue et toute tentative de résolution.

La contribution de l’Europe à leur solution, puis à la reconstruction de la région, est ici indispensable – et fondamentale – dans notre intérêt même.

Nous sommes issus de cette région méditerranéenne et proche-orientale. Comme le rappelle si bien Georges Orwell dans son roman d’anticipation 1984 : « Celui qui contrôle le passé, contrôle l’avenir. Celui qui contrôle le présent, contrôle le passé » (Who controls the past, controls the future. Who controls the present, controls the past).

La connaissance du passé est indispensable pour interpréter et comprendre ce qui se passe aujourd’hui et tenter de dégager les compromis qui éviteront ou résoudront les conflits où tout le monde est perdant. Comme le disait ce visiteur du Louvre contemplant la « Victoire de Samothrace » : si c’est cela la Victoire, comment représenter la Défaite ?

L’objet du nouveau programme de la Fraternité d’Abraham « La Méditerranée, berceau et devenir de l’Europe » présenté au cours de notre dernière Assemblée générale du 17 juin  vise à mieux nous faire connaître notre histoire commune, nous peuples de l’Europe, du bassin méditerranéen et du Proche et Moyen Orients, depuis l’époque d’Abraham, patriarche commun des trois monothéismes.

Nous sommes porteurs de cet héritage commun que nous connaissons mal, qui est fait pour nous unir plus que nous diviser.

La Déclaration de Barcelone de 1995, signée par tous les pays riverains de la Méditerranée sans exception et de nombreux pays d’Europe du Nord, visait à réaliser pour cet espace Euro-Méditerranéen :

  • la définition d’un espace commun de paix et de stabilité par le renforcement du dialogue politique et de sécurité ;
  • la construction d’une zone de prospérité par un partenariat économique et financier et par l’établissement d’une zone de libre échange à l’échéance de 2010 ;
  • le rapprochement culturel par le biais d’un partenariat culturel, humain et social entre les deux rives de la Méditerranée.

On en est loin, mais il n’est pas inutile de relancer l’initiative. Ce serait l’aboutissement de cette histoire tri- millénaire que retrace notre programme.

En comprenant mieux qui nous sommes, d’où nous venons, l’héritage que nous portons et transmettons, nous pourrons mieux contribuer à résoudre nos conflits actuels et en prévenir d’autres, par le dialogue dans le respect mutuel, pour développer une culture de la paix  et de la réconciliation, plutôt que du ressentiment et de la revanche.

Ce programme débutera dès le mois d’octobre par une première conférence à trois voix, le 11 octobre prochain à la Grande Mosquée de Paris sur Abraham, Ismaël et Isaac, suivie de trois conférences, chacune à trois voix aussi, respectivement sur Moïse à l’Institut Elie Wiesel, sur Jésus au Collège des Bernardins et sur Mahomet à la Grande Mosquée.

Venez assister nombreux à ce cycle de conférences et faites-le connaître autour de vous.

Très bonne rentrée à tous.

Edmond A. Lisle
Président

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