La convention signée mercredi 25 mai entre la faculté des lettres de l’Institut catholique de Paris (ICP) et la faculté des lettres et langues de l’université Al Azhar du Caire est « historique », « unique en son genre », selon les termes deux parties : c’est la première signée par l’ICP avec une université musulmane et la première signée par Al Azhar avec une université catholique. Déjà annoncée l’été dernier, elle a dû franchir entre-temps les étapes de validation administrative.

Ce partenariat, affirme le professeur de littérature française à Al Azhar, Oussama Nabil, concrétise « un rêve vieux de trente ans ». Qu’il se réalise aujourd’hui ne l’étonne guère, convaincu qu’il est que « c’est dans les périodes de grandes tensions que l’on est obligé de bouger ». « La crise impose ce dialogue entre disciplines », analyse cet universitaire égyptien, parfaitement francophone.

Sciences profanes

L’originalité de ce partenariat est de relier deux universités religieuses non pas autour de la théologie mais des sciences profanes. Un choix qui s’explique d’abord par la personnalité de ses initiateurs – Anne Banny et Oussama Nabil, tous deux spécialistes de littérature française –, mais qu’ils ont dû défendre auprès de leurs institutions respectives.

« La littérature dit le monde ; elle offre des espaces pour comprendre ensemble la société, la culture et la religion », plaide Anne Banny, doyenne de la faculté des lettres de l’ICP. « Même une fiction aide à entrer dans la réalité, la complexité de l’âme humaine ou de son identité ».

Auteur d’une thèse sur Tahar Ben Jelloun à La Sorbonne, Oussama Nabil est convaincu, lui aussi, de la pertinence d’aborder les « questionnements théologiques » par le versant littéraire. « Le roman, la poésie sont d’excellents moyens de questionner la pratique, la sociologie de la religion », affirme cet universitaire – également directeur de l’Observatoire du monde musulman récemment créé par le grand imam d’Al Azhar – qui, par le biais de la littérature, voyait déjà les germes de terrorisme « dès les années 1980 ».

Sillage de la rencontre avec le pape François

« Nos deux institutions ont bien raison de cultiver les liens entre disciplines, particulièrement la littérature et la théologie », s’est félicité Mgr Philippe Bordeyne, recteur de l’ICP, lors de la cérémonie organisée dans les locaux de l’ICP. Heureux que cette signature s’inscrive dans « le sillage » de la rencontre, lundi 23 mai, entre le grand imam Ahmed Al Tayeb et le pape, il a dit aussi ne pas exclure « qu’elle s’étende un jour à la théologie et au dialogue interreligieux ».
« Jamais aucun étudiant d’Al Azhar n’a pris les armes. Ceux qui se livrent à la violence sont ceux qui n’ont pas étudié sous la conduite de nos savants », a de son côté souligné son homologue égyptien, Ibrahim Al Hodhod, rappelant combien celle-ci – avec ses 40 000 élèves venus de 120 pays – porte « le souci du monde », et pas seulement de la religion.

Séminaire sur le dialogue interculturel

La convention encadre pour trois ans des activités de recherche communes, dans les domaines de la traductologie, des études littéraires, des études médiévales ainsi que du dialogue interreligieux. La mise en place à l’ICP à la rentrée d’un séminaire doctrinal sur le dialogue interculturel, dans lequel interviendront des enseignants d’Al Azhar, sera la première traduction concrète. Des thèses françaises et égyptiennes pourront également être codirigées par des professeurs des deux institutions.

Ce partenariat ouvre, pour l’académicien Amin Maalouf, le chemin que « notre humanité va devoir emprunter si elle veut sortir de la nasse », entre « d’un côté, un progrès sans équivalent, de l’autre, un piétinement, voire une régression ». Par son souci de connaissance mutuelle, il répond à la nécessité de reconnaître la « dignité culturelle » de chacun, sans laquelle la civilisation ne peut être « vraiment universelle et vraiment humaine ».

Facebooktwitterlinkedinmail