Éloge prononcé par l’ambassadeur à l’occasion de la remise de la Croix d’Officier de l’Ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne à Georges Loinger le 12 juillet 2016 à Paris.

Soyez les bienvenus à l’Hôtel de Beauharnais. C’est une occasion très particulière qui nous réunit aujourd’hui. Cher Monsieur Loinger, le président de la République fédérale d’Allemagne Joachim Gauck vous a décerné la Croix d’Officier de l’Ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne. Avec cette distinction, l’Allemagne souhaite vous exprimer sa gratitude pour avoir défendu avec vigueur les valeurs humaines pendant la période si sombre du nazisme.

J’ai aujourd’hui le très grand honneur de vous en remettre les insignes. Ce moment est l’un des plus émouvants de ma carrière. Cher Monsieur Loinger, le Grand rabbin Haïm Korsia nous a présentés en mars dernier. Votre vie m’a impressionné. Vous êtes un modèle. C’est pourquoi je suis si heureux que vous soyez ici pour recevoir cette décoration et partager avec nous votre immense expérience, vos réflexions. Ce moment est extrêmement précieux pour nous tous, en particulier pour tous les jeunes présents parmi nous. Jeunes Français et jeunes Allemands. Toute votre vie a été dédicacée à la jeunesse. En vous remettant cette décoration, l’Allemagne souhaite témoigner sa reconnaissance et son respect pour l’œuvre de votre vie.

Cher Monsieur Loinger, vous êtes né en 1910 à Strasbourg qui se trouvait alors en territoire allemand. Vous avez vécu l’extraordinaire essor de la communauté juive qui a suivi l’introduction en Alsace de l’égalité de droits pour les juifs en 1831. Ainsi, douze ans seulement avant votre naissance, en 1898, la communauté juive de Strasbourg érigeait sur le quai Kléber une nouvelle synagogue pouvant accueillir plus de 1 600 fidèles. Tout jeune homme, vous faites la connaissance de Joseph Weill, fils du Grand rabbin de Colmar et médecin de profession, une rencontre qui sera pour vous déterminante. Joseph Weill contribua à consolider les mouvements de jeunesse juifs et s’efforça de vous sensibiliser au danger qui présentait Hitler. Il fut également l’un des directeurs de l’Œuvre de secours aux enfants.

En septembre 1940, les occupants allemands incendient la synagogue du quai Kléber. Des milliers de juifs alsaciens sont chassés et beaucoup se réfugient en zone non-occupée. Mais ils ne sont toujours pas en sécurité car le régime de Vichy mène lui aussi une politique antisémite et de collaboration avec le régime Nazi. Mobilisé, puis fait prisonnier en Allemagne, vous vous évadez et entrez dans la Résistance en France. En 1943 et 1944, avec l’Œuvre de secours aux enfants et le soutien du maire d’Annemasse, vous aidez des centaines d’enfants juifs à passer en Suisse. Parmi ces enfants, 123 sont des enfants « achetés » à Himmler par la baronne Édouard de Rothschild. Celle-ci les avait d’abord accueillis dans son château de la Guette, près de Paris, où votre femme, Flore, veillait sur eux. Cher Monsieur Loinger, vous avez sauvé ces enfants au péril de votre vie. Vous avez fait preuve d’un courage immense.

Après la guerre et la libération des camps de concentration a commencé l’exode des juifs européens vers la Palestine. Là aussi, vous avez été aux avant-postes. Avec l’organisation Alyah Beth, vous avez mis sur pied des traversées illégales de Sète vers la Palestine pour les survivants de la Shoah. Je devais avoir 15 ou 16 ans lorsque mon père nous a fait lire, à mes frères et moi, le roman Exodus de Leon Uris. Ce best-seller paru en 1958 a été mon premier contact avec l’histoire de la fondation d’Israël, histoire qui m’a marqué durablement. Et je conseille encore aujourd’hui aux jeunes de le lire.

Depuis plusieurs décennies, vous vous engagez aussi en faveur du dialogue interreligieux. Vous étiez parmi les premiers membres de la Fraternité d’Abraham fondée en 1967. Le Père Michel Riquet, l’un de ses fondateurs et lui-même résistant déporté, était pour vous un ami très proche. La Fraternité d’Abraham cherche à faire connaître le patrimoine spirituel et culturel commun aux juifs, chrétiens et musulmans.  Elle souhaite opposer à la haine et à la violence un humanisme fraternel. Face à la montée des extrémismes religieux dans le monde, cet objectif n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire.

Cher Monsieur Loinger, aujourd’hui âgé de 105 ans, presque 106 ans le 29 août, vous êtes un symbole de la courageuse résistance juive de France. Nous savons tous les effroyables souffrances que les Allemands ont infligées aux juifs d’Europe. L’Allemagne reconnaît sa responsabilité historique dans la rupture de civilisation qu’a constitué la Shoah, ce meurtre de millions de juifs d’Europe perpétré par des Allemands.  Ce souvenir est inscrit et restera inscrit dans notre conscience nationale.

L’Allemagne se porte garante du droit d’Israël à exister. La chancelière Merkel a déclaré devant la Knesset en 2008 : « Tous les gouvernements et tous les chanceliers avant moi ont endossé la responsabilité historique particulière de l’Allemagne à l’égard de la sécurité d’Israël. Cette responsabilité historique de l’Allemagne fait partie de la raison d’être de mon pays. Cela signifie que pour moi, chancelière allemande, la sécurité d’Israël ne sera jamais négociable. » Cette affirmation n’a rien perdu de son actualité ! Et pour nous, Allemands, c’est toujours une immense faveur de pouvoir faire œuvre commune de mémoire avec des personnalités telles que vous et de transmettre ce souvenir aux jeunes générations. Et j’espère que vous trouverez un peu de temps ce soir ou à un autre moment de parler aux jeunes qui sont présents ce soir.

Vous avez montré qu’il y avait aussi une résistance juive déterminée face aux nazis. Cette résistance a contribué au succès du Débarquement des Alliés en Normandie en 1944 qui a signé le début de la libération, de la libération de la France mais aussi de la libération de l’Allemagne. Après nous avoir fait lire Exodus, mon père nous a également parlé des plages du Débarquement pour nous dire où avait commencé la libération de notre pays. Après la guerre c’est en Normandie sur les plages du Débarquement qu’il a fait son premier voyage. Cher Monsieur Loinger, vous faites partie des principaux acteurs du sauvetage d’enfants juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Votre bravoure et votre lutte pour protéger les plus faibles font de vous un exemple. Parfaitement conscient des risques que vous preniez, vous n’avez jamais douté. Pour vous, c’était « tout simplement » la seule chose à faire. Beaucoup de gens doivent leur survie à votre détermination, à votre courage.

Cher Monsieur Loinger, au nom du président fédéral Joachim Gauck, j’ai à présent le plaisir de vous remettre les insignes de la croix d’Officier de l’Ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne.

Toutes nos félicitations !

 

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