LE PRESIDENT
Michel Rostagnat
Paris, le 23 juin 2025

Allocution de bienvenue

[après une minute de prière silencieuse pour que les habitants du monde reçoivent du Ciel la lumière
qu’ils ne peuvent pas trouver en eux-mêmes et qui éclairera leur chemin vers le bonheur]

Chers amis,
Soyez les bienvenus à cette assemblée générale 2025 de la Fraternité d’Abraham. Croyez bien que
votre présence aujourd’hui est pour nous un soutien et un encouragement précieux.

Je tiens à remercier tout d’abord l’Institut protestant de théologie pour son accueil gracieux. Vous vous
souvenez qu’à mon élection, le 10 octobre 2021, j’avais émis le vœu que nos réunions tournent dans
les lieux majeurs de la pensée et de la prière de nos différentes confessions. C’est ainsi qu’après la
Grande mosquée de Paris, qui nous avait accueillis jusqu’en 2023, nous nous étions rendus l’an dernier
au Centre européen du judaïsme. En cette année 2025, Mesdames Emmanuelle Seyboldt, alors
présidente de l’Eglise protestante unie de France, et Anna Van Den Kerchove, doyenne de cet Institut,
nous ont permis de nous retrouver ici pour faire le point de notre activité, conforter nos engagements
et prendre les décisions qui s’imposent pour l’année à venir. J’espère vivement qu’il nous sera donné
de poursuivre l’année prochaine ce pèlerinage interreligieux à l’intérieur du haricot parisien voire,
pourquoi pas, en dehors.

Je salue d’emblée les amis qui nous ont rejoints en visioconférence. Nos moyens techniques sont
fragiles, j’espère que la connexion sera effective jusqu’au bout. C’est la première fois que nous offrons
ce lien visio qui pourtant dans la vraie vie, depuis cinq ans, est devenu un auxiliaire d’une grande
familiarité. Puissions-nous être à la hauteur. Amis lointains, nous serons attentifs à vous donner la
parole à la demande.

Quel bilan tirer de notre activité depuis l’an dernier ? Je le ferai selon les quatre orientations que j’avais
suggérées il y a quatre ans, à mon élection, à savoir : les jeunes, la province, l’expression académique
et les manifestations symboliques.

S’agissant du rajeunissement de notre association, le bilan est hélas décevant. Comment ne pas
l’imputer à la tendance observée un peu partout chez nos contemporains, notamment les plus jeunes,
à se replier dans un cadre spirituel rassurant, fermé aux bruits du monde extérieur, et support d’une
communauté à l’expression volontiers intransigeante ? Or à l’image de notre père Abraham, nous nous
devons de manifester que cette tentation est mortifère et que c’est au contraire dans l’échange
fraternel avec ceux qui ne partagent pas forcément nos valeurs que nous pouvons conforter nos
intuitions et contribuer à la paix des cœurs, en nous et autour de nous. Sommes-nous vraiment de
bons témoins de ces valeurs-là ? Sommes-nous, dans cette petite cellule sociale qu’est notre
association, animés par cet esprit d’écoute fraternelle ? Témoignons-nous bien la richesse de
l’échange ? Sommes-nous des croyants inspirants ? Notre comité directeur a vu ses effectifs fondre et
la relève se fait attendre. Tous ceux qui seraient prêts à s’engager à son service sans trop compter y
sont les bienvenus – quel que soit leur âge !

S’agissant de notre rayonnement, les progrès sont également minces. Nous sommes pourtant porteurs
d’une marque reconnue, j’en suis témoin, dont la renommée surpasse largement nos pauvres efforts.
Peut-être pourrons-nous fomenter prochainement une manifestation qui aura une résonance en
Association régie par la Loi du 1er juillet 1901, inscrite sous le n°67.829 à la Préfecture de Police de Paris
60 rue Pierre Mendès-France, 78114 Magny-les-Hameaux, www.fraternite-dabraham
province, voire à l’étranger. J’y viendrai dans un instant. C’est timide, mais significatif. En outre, notre
revue s’emploie à donner la parole à des personnalités et groupes actifs en dehors de notre
microcosme, et c’est bien ainsi. Dans son nouveau format et avec une diffusion élargie, elle est notre
résonateur. Je reviendrai également sur l’avenir de la revue.

S’agissant de notre ligne éditoriale, la pertinence de liens avec des institutions académiques demeure.
Dans le numéro de notre revue qui s’apprête à sortir, nous signalons un grand nombre de propositions
de niveau universitaire susceptibles d’être suivies à distance depuis chez soi. C’est une grande chance
que la technologie moderne nous donne, à nous qui, fussions-nous Parisiens, a fortiori éloignés des
grands centres universitaires, ne pouvons pas aisément nous rendre dans les lieux de la pensée
académique. Instruit par la commotion dont nos esprits ont été touchés depuis le 7 octobre 2023, j’ai
compris que s’il était un créneau dans lequel nous avions toute notre place, c’est bien ce que j’ai appelé
« le traitement à froid des questions brûlantes ». Notre revue a adopté cette ligne-là depuis son
numéro 200, premier numéro paru depuis le 7 octobre, publié en janvier 2024, sur le thème de la
fraternité, jusqu’aux derniers numéros sur la conversion ou la terre et à celui qui sortira ces jours-ci
sur l’écologie. Mais pour aller plus loin, nous gagnerions à structurer des partenariats organisés avec
des institutions académiques, comme cet Institut protestant de théologie qui nous accueille
aujourd’hui. Je le souhaite vivement.

S’agissant enfin de la dimension symbolique de notre message, qui en est pour moi l’essentiel, c’est au
premier abord dans la fraternité qui anime nos rencontres qu’elle se dévoile. Sommes-nous à ce point
heureux de nous retrouver que nous savons renoncer à d’autres sollicitations ? Aimons-nous partager
nos convictions sans fermer par avance l’oreille à des personnes ou des propos qui nous
dérangeraient ? Manifestons-nous entre nous une amitié sincère, par-delà mais aussi au cœur de nos
différences ? Il est clair que nous avons encore des progrès à faire en ce sens.

Cela dit, je reviens à la référence à Assise que lors de mon élection, j’avais présentée comme une
source d’inspiration. Il se trouve que l’an prochain, en octobre, seront célébrés successivement le
800ème anniversaire de la naissance au Ciel du Poverello Saint-François (le 4) et le 40ème anniversaire de
la réunion des chefs religieux de la planète convoquée par le saint pape Jean-Paul II (le 27). J’ai soumis,
à nos amis de la Coordination interconvictionnelle du Grand Paris (CINPA) et de la section française de
la Conférence mondiale des religions pour la paix, l’idée de manifestations décentralisées de portée
symbolique (avec des marches par exemple) à cette occasion. Je souhaite en élargir l’audience.
J’espère que nous pourrons, ensemble et avec d’autres partenaires comme la communauté
franciscaine, Sant’Egidio et les réseaux des animateurs du dialogue interreligieux dans nos provinces,
monter un tel projet. Celles et ceux d’entre vous qui seraient prêts à vraiment se mobiliser à cette fin
sont les bienvenus dans l’aventure.

Mais le calendrier nous réserve d’autres heureuses surprises qui pourraient motiver l’organisation de
gestes fraternels. Je note ainsi que l’an prochain, chrétiens et musulmans entameront le même jour
leur temps de jeûne. Le mercredi 18 février 2026 sera en effet à la fois le Mercredi des Cendres et le
premier jour du saint mois de Ramadan. Et quelques temps plus tard, le jeudi 2 avril, ce sont les juifs
et les chrétiens qui se retrouveront à leurs tables respectives pour le seder de Pessah et la sainte Cène
du Seigneur. Comment ne pas voir dans cette conjonction calendaire providentielle, qu’on n’est pas
près de revoir, un clin d’œil du Ciel ? Saurons-nous y répondre par des gestes de partage ?
Vous savez d’ailleurs que nous nous associons aux célébrations des journées fraternelles décidées par
l’ONU le 4 février (journée internationale de la fraternité humaine) et le 16 mai (journée internationale
du vivre ensemble en paix). Les petites équipes organisatrices sont fragiles et notre contribution
modeste. Il est certain qu’on aura du mal à faire face en une année à autant de rendez-vous.
Probablement nous faudra-t-il choisir ceux d’entre eux qui sont à nos yeux les plus porteurs de sens.
J’espère que cette assemblée générale nous donnera le cap.

J’ai évoqué notre revue. Elle est aujourd’hui notre contribution majeure. Le choix que nous avons fait
il y a un an et demi d’un nouveau prestataire nous a permis de lui donner à coût réduit une plus large
diffusion auprès de relais d’opinion majeurs. Or j’ai constaté, en découvrant en début d’année les
comptes de l’année écoulée, dont le rapport financier vous donne une vision chiffrée, un effondrement
préoccupant de nos recettes, notamment d’abonnement à la revue. Nous étions déjà loin de
l’équilibre. Nous sommes désormais dans le rouge. J’ai proposé au comité directeur de réfléchir à
l’option d’une recherche de mécène. La réponse a été négative. Je le regrette. Nous devrons donc
compter sur nos propres forces, ce qui a au moins l’avantage de préserver notre liberté d’expression.
Je vous proposerai tout à l’heure de donner délégation au comité directeur pour surseoir à la
publication de la revue après le numéro 208 qui sortira en janvier prochain. Nous nous efforcerons de
continuer à parler sur d’autres modes, notamment notre site web que nous avons décidé de préserver,
car il est notre carte de visite.

Nous n’aurons pas pu, cette année, proposer aux participants à l’Assemblée générale un temps de
débat avec des intervenants extérieurs. Nous avons des projets pour la rentrée, notamment sur la
question de l’impact économique des migrations internationales. Nous vous en tiendrons informés.
Une adhérente de longue date m’a interrogé dernièrement sur les solutions au problème du manque
d’adhérents : sommes-nous trop d’associations à poursuivre les mêmes objectifs ? La nôtre manque-
t-elle d’originalité ? La question est ouverte, et j’espère que notre assemblée saura l’affronter sans
fard.

Je voudrais in fine élever le débat à la dimension mystique de notre engagement, qui me paraît
fondamentale. A la lumière des évènements, je dirais trois choses : que nous avons à donner le sens
que nous leur reconnaissons à des termes finalement ambigus et galvaudés comme « paix »,
« fraternité » ou « foi » ; qu’il nous appartient d’aider nos contemporains à sortir des ghettos
communautaires ou spirituels dans lesquels ils se réfugient trop volontiers ; et qu’il est de notre devoir
d’éclaireurs de nous rendre maîtres de nos propres émotions pour être tout à tous.

Il est en effet aujourd’hui des mots dont le sens est perverti au service de causes que nous ne pouvons
absolument que condamner. La « fraternité » que nous affichons dans notre titre peut ainsi être prise
à l’échelle du groupuscule des amis ou des complices, rejetant ipso facto le reste de l’humanité dans
les ténèbres de la haine. Force est de reconnaître que même nos familles vivent parfois de cette
fraternité pervertie. Nous nous devons de proclamer que ce n’est pas celle que nous recherchons.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », a dit Albert Camus. Soyons clairs.
Ces ghettos communautaires ou spirituels, chacun les voit se constituer. Le paradoxe de notre société
surinformée, c’est que beaucoup de nos contemporains ne sont plus capables de seulement entendre
une parole qui ne conforte pas leurs convictions préétablies. Des communautés, tenues par des leaders
médiatiques ou politiques qui y trouvent leur intérêt, se complaisent dans des discours victimaires à
l’adresse d’une société accusée de ne pas les aimer. Qu’il me soit permis de dire que ce discours-là est
parfaitement stérile. Pire, il porte en germe le risque de constitution d’une contre-culture hermétique
qui ne manquera pas, le moment venu, de se confronter par la violence à la culture supposée
dominante. Non, nous ne devons en aucune façon faire chorus avec ces discours revanchards. Et ce
d’autant plus que nous sommes porteurs d’une conviction, née de l’histoire même de notre patriarche
Abraham et de notre propre expérience : celle que chaque individu, chaque groupe humain est porteur
de richesses précieuses aux yeux de la société toute entière. Aider nos sœurs et frères en humanité à
quitter le costume du mal aimé pour endosser celui d’ouvrier au chantier de la fraternité est, je crois,
l’une des tâches les plus nobles qui puisse nous échoir. Ne la boudons pas.

Nos émotions : la violence des images qui ont conquis nos écrans et ne les lâchent pas tend à briser le
fragile vernis de tempérance dont nous nous croyions enduits de par nos diplômes et notre expérience.
J’ai été très frappé, depuis un an et demi, de constater à quel point les pulsions animales peuvent être
puissantes en nous. Loin de moi l’idée que nous devrions neutraliser nos émotions, non : car elles sont,
étymologiquement, ce qui nous met en mouvement, ce qui nous sort de nous-mêmes. Mais elles ne
sont bonnes qu’à la condition d’être maîtrisées. Nous sommes des êtres doués de raison. Nous avons
appris à prendre du recul par rapport à l’évènement. Sachons être fidèles à cette éducation. Notre
« société de l’émotion », comme l’appelait un ministre que j’ai servi avec respect, a besoin de veilleurs
qui sachent ne pas céder aux pulsions médiatiques et apaiser le débat. Soyons de ceux-là.

A l’approche de son soixantième anniversaire, notre Fraternité paraît donner des signes d’usure. Sans
doute est-elle, comme toutes les constructions humaines, mortelle. Elle est néanmoins porteuse d’une
mission qui n’est pas près de perdre de sa pertinence, celle du dialogue des croyants. Il nous appartient
tous, ceux d’entre nous qui portent le flambeau comme celles et ceux – que j’espère nombreux – qui
parmi nos amis l’ont déjà en main ou le prendront de notre main, de poursuivre la course, comme
disait si bien Saint Paul, vers l’horizon de fraternité que nous appelons de nos vœux.

Merci du fond du cœur pour votre concours actif.

Télécharger l’Allocution

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