Nous sommes musulmans, nous condamnons le terrorisme, sans hésitation, sans nuance, sans réserve.

Par Collectif de 20 intellectuels musulmans

Tribune

« Alors que Jean Castex vient de présenter les grandes lignes d’un nouveau projet de loi sur le renseignement et la lutte antiterroriste, un collectif d’intellectuels musulmans rappelle sa profonde abjection pour le terrorisme ».

Une Française a été assassinée. C’était une agente de police, une fonctionnaire, une femme, une mère de deux adolescentes. Une personne comme vous, une personne comme nous, qui faisait son métier. Un meurtre abject. Un drame humain qui met toute une famille dans un deuil sans fond, des enfants qui ont perdu leur mère, un mari qui a perdu sa femme, des parents qui ont perdu leur fille. Un drame humain qui touche tous ceux qui nous protègent et que nous croisons chaque jour : nos policiers, nos gendarmes. Stéphanie M., une âme qui est partie trop tôt.

Nous sommes attristés, dégoûtés, consternés, révoltés par ce terrorisme, par ce meurtre abject, par cet acte insensé.

Face à ce nouvel attentat terroriste qui frappe et endeuille la France, nous voulons prendre la parole. Nous sommes musulmans, nous condamnons le terrorisme. Sans hésitation, sans nuance, sans réserve. En tant que Français, en tant que citoyens, en tant qu’intellectuels, en tant que musulmans.

Nous condamnons cet attentat terroriste qui a arraché la vie de Stéphanie M., comme tous les autres attentats terroristes qui ont frappé la France : « Charlie Hebdo », Hyper Cacher, Bataclan, Nice, Samuel Paty, basilique de Nice. Comme, aussi, tous les actes antisémites, tels l’odieux meurtre perpétré contre Sarah Halimi. Comme, enfin, tous les attentats terroristes qui ont frappé le monde, les pays occidentaux, les pays musulmans, et d’autres pays, particulièrement depuis le 11-Septembre : Algérie, Angleterre, Egypte, Espagne, Etats-Unis, Inde, Indonésie, Irak, Kenya, Maroc, Nigéria, etc.

Nous rejetons et nous abhorrons l’idéologie qui sous-tend le terrorisme. Nous rejetons et nous abhorrons cette idéologie barbare, criminelle, inhumaine, et obscurantiste.

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Un crime contre la France, la République, l’islam

Le crime commis contre Stéphanie M., Samuel Paty, « Charlie Hebdo », l’Hyper Cacher, et tant d’autres victimes, est un crime contre la France. Le meurtrier de Stéphanie M., né à l’étranger, a été accueilli, protégé, et nourri par la France. Il a tué la main qui l’avait recueilli. Comme pour le meurtre de Samuel Paty. Déchirante trahison de la loi élémentaire de l’hospitalité. Tels Brutus se retournant contre César dans la tragédie de Shakespeare, les deux meurtriers de Samuel Paty et Stéphanie M. se sont retournés contre la main à laquelle ils étaient redevables.

Le crime commis contre Stéphanie M., Samuel Paty, « Charlie Hebdo », l’Hyper Cacher, et tant d’autres victimes, est un crime contre la République. Stéphanie M. représentait la République. Elle représentait l’autorité de l’Etat, garant de la paix sociale. Comme pour le meurtre de Samuel Paty, là encore. En attaquant les représentants de la République, le terrorisme veut faire vaciller notre République. Provoquer le désordre. Aux terroristes qui se réclament de notre foi, nous rétorquons que le désordre, fitna, est abhorré dans la tradition islamique. Aux terroristes, nous disons que notre pays est la France. Nous vivons en France, nous sommes citoyens français. Nous sommes solidaires de toute la France. Notre droit est le droit français ; cela inclut le droit au blasphème, droit qui assure notre liberté de conscience. Nous faisons partie de la société française, nous sommes un élément de son corps. Nous sommes des atomes d’une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion, et qui respecte toutes les croyances (Constitution de 1958).

Le crime commis contre Stéphanie M., Samuel Paty, « Charlie Hebdo », l’Hyper Cacher, et tant d’autres victimes, est un crime contre l’islam. Aux terroristes qui se réclament de la religion, nous rétorquons que rien ne peut justifier un acte terroriste ni la violence aveugle. Le Coran dit : « N’attentez pas à la vie de votre semblable, que Dieu a rendue sacrée… » (Coran, 17.33). Et encore : « Quiconque tue un être humain non convaincu de meurtre… est considéré comme le meurtrier de l’humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière ! » (Coran, 5.32). La valeur de la vie est sacrée. Le Coran interdit l’agression unilatérale.

Nous condamnons toute apologie ou justification du terrorisme. Aux terroristes théoriciens et apprentis du djihadisme qui ont déclaré la guerre à la France, nous rétorquons que le Coran interdit l’agression unilatérale. Dans le Coran, la violence guerrière n’est permise que contre des attaquants en arme directement menaçants, donc uniquement en cas de légitime défense (2.190 ; 4.75 ; 8.19 ; 9.12-13). Tuer des gens en dehors de ce cas précis relève du meurtre (Coran, 5.32). Par exemple, dans les conflits, le Coran enjoint de cesser les hostilités dès que l’adversaire le propose (2.192 ; 4.90 ; 60.7-8). Ainsi : « Si donc ces gens-là se tiennent à l’écart, et au lieu de vous attaquer vous offrent la paix, Dieu ne vous donne plus aucun droit de les inquiéter. » (Coran, 4.90). Pour être clair, le Coran enjoint « d’être bons et équitables envers tous ceux qui ne sont pas des attaquants [physiques] » car « Dieu aime ceux qui sont équitables » (Coran, 60.8). Toutes les personnes qui ne sont pas des attaquants, cela inclut toutes les personnes assassinées dans les attentats terroristes. Apprentis djihadistes, faut-il vous rappeler que Stéphanie M., Samuel Paty, les journalistes de « Charlie », les personnes de l’Hyper Cacher, et tant d’autres ont été tués sans qu’ils n’aient commis aucun crime ? Sans que la France ne vous ait en rien agressé ?

Apprentis djihadistes, faut-il vous rappeler également les sources islamiques ? Dans la tradition islamique, le Prophète accepte la paix lorsque les Arabes polythéistes la lui offrent, signant avec eux le traité de Hudaybiya (629) : son armée rebrousse chemin sans livrer combat (Coran, sourate 48). Une année plus tard, la prise de La Mecque polythéiste par le Prophète ne donne lieu à aucun massacre ni vengeance, pourtant après un long conflit fratricide (630). Et, la prise de Jérusalem par l’une des figures les plus révérées dans l’histoire musulmane, Saladin, ne donne lieu à aucun massacre durant les croisades (1187).

Dans le Coran, le sens du mot jihad est d’abord celui d’effort vers une plus grande spiritualité et moralité ; par exemple, le verset 61.14 décrit Jésus, l’un des plus grands prophètes dans l’islam, comme œuvrant au « combat pour défendre la cause de Dieu ». Et, aux énergumènes tentés par la propagande djihadiste, nous voulons rappeler que, dans la religion musulmane, le Coran a préséance sur toute autre source religieuse, y compris les hadiths (dires rapportés du Prophète, dont certains sont purement forgés), y compris les nasheeds retrouvés sur le meurtrier de Stéphanie M.

Le crime commis contre Stéphanie M., Samuel Paty, « Charlie Hebdo », l’Hyper Cacher, et tant d’autres victimes, est aussi, pour tous les croyants, un crime contre Dieu. Pour les croyants, aucun être humain ne peut se substituer à Dieu. A tous les terroristes ou apprentis terroristes qui se prennent pour Dieu ou des témoins de Dieu, nous disons que, pour les croyants, la justice divine n’est pas de ce monde. Dans l’islam, la relation entre chaque être humain et Dieu est directe. Aucun être humain ne doit donc se faire juge des croyances d’autrui, ni encore moins décider de punir autrui à cause de ses croyances. Pour les croyants musulmans, Dieu est le seul capable de juger car nul n’est son égal (Coran, 3.128 ; 22.69 ; 45.14). Non seulement le Coran véhicule ce message dans l’esprit, mais il l’énonce clairement dans la lettre : « Le fait qu’ils soient coupables ne te permet pas de décider de leur sort. C’est à Dieu seul qu’il appartient de leur pardonner ou de les punir. » (Coran, 3.128).

Aux terroristes islamistes qui ont décidé de viser la France à cause des caricatures de « Charlie », nous rétorquons : Si un(e) musulman(e) se sent insulté(e) dans sa foi dans un quelconque débat, le Coran enjoint de se détourner et ne pas répondre aux éventuelles insultes sur sa religion (par exemple, Coran, 6.33, 6.106, 6.108, 6.113 ; 26.3 ; 28.54-55 ; 36.76 ; 43.89). Face au blasphème, le Coran recommande de ne pas réagir (2.212 ; 9.64 ; 42.15). Quand un(e) musulman(e) entend un discours contraire à sa religion, il doit « se détourner, en disant : « À nous notre manière d’agir, et à vous la vôtre ! Que la paix soit avec vous ! » » (Coran, 28.55). Le Coran recommande d’être bienveillant, ne pas chercher noise, et ne pas réagir négativement, y compris par rapport aux non-croyants et à ceux qui se moquent de leur religion (Coran, 5.13 ; 7.199 ; 25.63 ; 43.89). Par exemple : « Les serviteurs du Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur la terre, ceux qui répondent avec douceur aux non-croyants qui les interpellent. » (Coran, 25.63). Le Coran interdit toute coercition en religion : chacun, chacune, est libre de croire en son for intérieur… ou pas. Un verset fameux dit : « Point de contrainte en religion » (2.256).

La lutte contre le terrorisme est un temps long. Elle se gagnera le jour où nous aurons réussi à défaire l’idéologie criminelle, barbare, et obscurantiste qui le sous-tend. Nous sommes, par notre prise de parole, dans cette lutte idéologique.

A la famille de Stéphanie M., à ses enfants, à son mari, à ses parents, à ses proches, à ses collègues de la police, nous exprimons aujourd’hui nos plus sincères condoléances.

Le crime contre Stéphanie M., contre toutes les victimes du terrorisme est un crime contre la France. Un crime contre la République. Un crime contre nous tous, Français croyants, agnostiques, ou athées.

C’est aussi un crime contre l’islam. Un crime contre notre humanité. Notre sincérité peut se lire dans ce chiffre : dans le monde, 91 % des victimes du terrorisme islamiste sont des musulmans https://www.fondapol.org/etude/les-attentats-islamistes-dans-le-monde-1979-2019

Nous sommes musulmans, nous condamnons le terrorisme.

Publié le 28 avril 2021, sur le site du Nouvel Obs

Les cosignataires du Collectif sont :
Karim Ifrak, islamologue, coranologue et codicologue, chercheur au CNRS
Fouad Aouni, chercheur doctorant en sociologie
Amine Assouel, normalien à l’ENS Paris-Saclay
Ali Belghith, enseignant et président d’association
Malik Bezouh, docteur en physique et essayiste
Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux
Saïd Branine, directeur de la rédaction de Oumma
Nabila Dibane, déléguée du Préfet
Chafiaa Djouadi, chercheure à l’Université Toulouse Jean Jaurès, membre de la chaire Unesco Prev prévention de la radicalisation
Fahmi Drissi, directeur de service en Collectivité
Hakim Fedaoui, essayiste, spécialiste de la pensée religieuse de l’islam
Hocine Kerzazi, universitaire en sociologie des religions
Eva Janadin, déléguée générale de l’association « L’Islam au XXIe siècle »
Moncef Magri, directeur politique de la ville, vie des quartiers, culture, et sport
Yassir Mechelloukh, chercheur en histoire de la philosophie arabe
Abdelouahab Rgoud, normalien, agrégé de sciences physiques, chercheur en philosophie arabe
Marwan Sinaceur, professeur de psychologie sociale à l’ESSEC
Shathil Taqa, juriste
Farid Vahid, spécialiste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient
Noureddine Zaalouni, sociologue
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