D’ABORD RÉSOUDRE LES CONFLITS EN COMMENCANT  PAR GAZA ET LA RÉSOLUTION DU CONFLIT ISRAËL/PALESTINE

Reconnaissons d’abord que les états, mis en place à la suite du Traité de Sèvres, sur les décombres de l’Empire ottoman, étaient des assemblages assez hétéroclites d’une variété de communautés ethniques, linguistiques, culturelles et religieuses : les Kurdes, par exemple, étaient répartis en trois états, Turquie, Syrie et Irak ; l’Irak, à majorité chiite et comprenant une importante minorité chrétienne, était dirigée par un gouvernement sunnite; le Liban fut d’emblée constitué en état multiconfessionnel avec une répartition constitutionnelle des pouvoirs, mais ce régime ne résista guère aux conflits qui secouent la région et fut la proie de guerres civiles violentes dans laquelle le régime syrien s’impliqua, jusqu’à occuper le pays. Libéré de l’occupation syrienne, une partie de son territoire reste contrôlé par le Hezbollah, soutenu par l’Iran. La Syrie elle aussi était composée de communautés distinctes, sunnite, alaouite, kurde et chrétienne et dirigée par une dictature jusqu’à son implosion suite à la révolte populaire de 2011.

Est-il concevable de reconstituer ces états avec une modification éventuelle de frontières ? Poser la question laisse entendre qu’une recomposition (sur quelles bases – ethnique, confessionnelle, linguistique…?) est encore plus inimaginable. La première priorité est évidemment de faire cesser les conflits, en Syrie, en Irak et dans la bande de Gaza et cela doit être engagé simultanément car chaque conflit entretient les autres.

S’agissant de Gaza, les termes de la négociation sont simples et clairs. Le Hamas exige la levée du blocus que lui imposent Israël et l’Egypte. Israël accepte une levée du blocus en échange de l’arrêt des tirs et la démilitarisation complète de Gaza. Pour quelle raison les parties n’accepteraient-elles pas une solution en ce sens ? Si ces termes étaient acquis, le territoire deviendrait un port franc assurant la prospérité – et la paix – à toute sa population. L’Egypte soutient cet objectif; un consortium de pays menés par la Norvège, est prêt à financer la reconstruction ; l’ONU serait garante des accords conclus et une présence inter- nationale, plus musclée que la FINUL au Liban, en surveillerait l’application et notamment la démilitarisation, préalable incontournable de la paix.

L’accord de paix Israël / Palestine implique la solution de deux problèmes : celui des « réfugiés » palestiniens et celui des « colonies » israéliennes en Cisjordanie.

S’agissant du premier on a vu plus haut qu’il fallait permettre aux descendants de ces réfugiés de se réinstaller définitivement dans les pays d’accueil actuels y compris le futur État palestinien ou dans d’autre pays de la région ou d’ailleurs, comme cela fut rendu possible pour les « boat-people ».

S’agissant des implantations israéliennes en Cisjordanie nous avons vu qu’el- les s’étaient développées chaque fois que les négociations de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne avaient avorté et que les attentats des organisations terroristes avaient repris.

Combien d’échecs et d’occasions manquées dans cette recherche d’un accord. Rappelons ici la mise en place, le 25 octobre 2001, du « Quartet » formé de représentants des Nations Unies, de l’Union européenne, de la Russie et des États-Unis et présidé depuis 2007 par Tony Blair (qui avait réussi à ramener la paix en Irlande du Nord en 1999), pour soutenir les parties dans leur recherche d’un accord de paix. Rappelons aussi la mission de John Kerry, le secrétaire d’État américain tout au long de 2013. Pourquoi ces médiations n’ont-elles pas (encore) abouti ? Manque de détermination de la part de leurs responsables ? Divergences entre les membres du Quartet ? Manque de « carottes et de bâtons» à destination des parties intéressées ?

Rappelons à ce sujet les paroles du Pape François, le 8 juin dernier au Vatican, devant les Présidents Mahmoud Abbas et Shimon Pérès :

Pour faire la paix, il faut du courage, bien plus que pour faire la guerre. Il faut du courage pour dire oui à la rencontre et non à l’affrontement ; oui au dialogue et non à la violence ; oui à la négociation et non aux hostilités ; oui au respect des accords et non aux provocations ; oui à la sincérité et non à la duplicité. Pour tout cela, il faut du courage, une grande force d’âme.
L’histoire nous enseigne que nos seules forces ne suffisent pas. Plus d’une fois, nous avons été proches de la paix, mais le malin, par divers moyens, a réussi à l’empêcher. C’est pourquoi nous sommes ici, parce que nous savons et nous croyons que nous avons besoin de l’aide de Dieu. Nous ne renonçons pas à nos responsabilités, mais nous invoquons Dieu comme un acte de suprême responsabilité, face à nos consciences et face à nos peuples. Nous avons entendu un appel, et nous devons répondre : l’appel à rompre la spirale de la haine et de la violence, à la rompre avec une seule parole : « frère ». Mais pour prononcer cette parole, nous devons tous lever le regard vers le Ciel, et nous reconnaître enfants d’un unique Père.
C’est à Lui que je m’adresse, dans l’Esprit de Jésus-Christ, demandant l’intercession de la Vierge Marie, fille de la Terre Sainte et notre Mère :
Seigneur Dieu de paix, écoute notre supplication !
Nous avons essayé tant de fois et durant tant d’années de résoudre nos conflits avec nos forces et aussi avec nos armes ; tant de moments d’hostilité et d’obscurité ; tant de sang versé ; tant de vies brisées, tant d’espérances ensevelies… Mais nos efforts ont été vains. A présent, Seigneur, aide-nous Toi ! Donne-nous Toi la paix, enseigne-nous Toi la paix, guide-nous Toi vers la paix.

Ouvre nos yeux et nos cœurs et donne-nous le courage de dire : ‘‘plus jamais la guerre’’ ; ‘‘avec la guerre tout est détruit !’’. Infuse en nous le courage d’accomplir des gestes concrets pour construire la paix. Seigneur, Dieu d’Abraham et des Prophètes, Dieu Amour qui nous a créés et nous appelle à vivre en frères, donne-nous la force d’être chaque jour des artisans de paix ; donne-nous la capacité de regarder avec bienveillance tous les frères que nous rencontrons sur notre chemin. Rends-nous disponibles à écouter le cri de nos concitoyens qui nous demandent de transformer nos armes en instruments de paix, nos peurs en confiance et nos tensions en pardon. Maintiens allumée en nous la flamme de l’espérance pour accomplir avec une patiente persévérance des choix de dia- logue et de réconciliation, afin que vainque finalement la paix. Et que du cœur de chaque homme soient bannis ces mots : division, haine, guerre ! Seigneur, désarme la langue et les mains, renouvelle les cœurs et les esprits, pour que la parole qui nous fait nous rencontrer soit toujours « frère », et que le style de notre vie devienne : shalom, paix, salam ! Amen.
(8 juin 2014) © Innovative Media Inc.) Cité dans notre N° 162, P. 61

L’accord Israël/Palestine, en plus de la fin de l’occupation et du quadrillage (check-points), comportera des sacrifices importants pour chaque partie, entrai- nant des aménagements de frontière, avec échange de territoires, pour incorporer certaines des implantations en territoire d’Israël. D’autres implantations devront être évacuées de leurs habitants, comme ce fut le cas à Gaza et leurs populations relogées en Israël. D’autres encore subsisteront en Palestine tout comme il existe des villages chrétiens en Palestine (Bethléem) et des villages arabes (chrétiens et musulmans) en Israël.

Simultanément, le gouvernement d’Israël et l’Autorité palestinienne devront s’en- tendre avec l’Egypte, la Jordanie et d’autres pays du Golfe – car ils ne pourront y parvenir seuls – et sous l’égide des Nations Unies, pour neutraliser la menace représentée par l’état islamique sous ses diverses formes qui répand la terreur, multiplie les atrocités dans la région et refuse le principe des deux Etats, israélien et palestinien, existant côte à côte dans des frontières sûres et reconnues.

Le nouveau haut-commissaire de l’Organisation des nations unies (ONU) aux droits de l’homme, le Jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein, a clairement décrit la menace que représente cet état lors de l’ouverture de la 27e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève :
« De quelle manière pourrait fonctionner un Etat takfiri à l’avenir [terme désignant les extrémistes sunnites] (…) Ce serait un monde sanguinaire, hostile et malveillant, sans protection pour les non-takfiris… »
« Dans le monde takfiri, à moins que votre opinion soit identique à la leur – et la leur est étroite et inflexible – vous perdez votre droit à la vie… »
« Dans l’esprit takfiri, comme nous l’avons vu au Nigeria, en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen, au Kenya, en Somalie, au Mali, en Libye, en Syrie et en Irak, et partout dans le monde où ils ont attaqué des personnes innocentes, y compris le 11 Septembre, il n’y a pas d’amour du prochain, il n’y a que l’anéantissement de tous les musulmans, des chrétiens, des juifs et (…) du reste de l’humanité qui ont d’autres croyances qu’eux. »

Parallèlement à ces efforts, mais beaucoup plus important encore, Israéliens et Palestiniens devront s’efforcer de faire retomber la haine et le mépris réciproques, condition sine qua non du vivre ensemble. L’exemple de Neve Shalom- Wahat al Salaam est un bon exemple de ce qu’il est possible – et absolument nécessaire – de faire pour réapprendre à coexister. L’apprentissage de la langue – et de l’histoire – de l’autre dès l’école primaire est une des conditions majeures de cette coexistence entre deux communautés.

Rapidement et pour redonner espoir et un but à atteindre aux populations concernées en dépassant les conflits, il faudrait proposer la création, qu’André Chouraqui appelait de ses vœux, d’une Confédération Israël – Jordanie – Palestine entretenant une relation privilégiée avec l’Union européenne et futur noyau fort d’un « Marché Commun » du Proche-Orient. Le développement des échanges commerciaux, de la production dans des entreprises conjointes, l’accroissement concomitant de l’emploi et du niveau de vie, seront des facteurs- clef de la réconciliation et du vivre-ensemble.

La solution du conflit Israël/Palestine ne doit pas faire oublier l’urgence d’un cessez-le-feu en Syrie et l’installation d’un régime démocratique dans ce pays.

Ni oublier l’urgente nécessité de soutenir la jeune démocratie irakienne en l’ai- dant à résister à l’agression de « l’Etat islamique » tout en appuyant tous les efforts de réconciliation et d’apprentissage à la coopération entre les diverses composantes ethniques et confessionnelles de ce pays.

Le retour à la paix de ces deux pays ne pourra pas se faire sans une concertation étroite entre les pays occidentaux d’une part, la Russie, la Turquie et l’Iran d’autre part, l’intérêt de tous étant que la paix dans la région et le développement de l’activité économique sont dans tous les cas préférables à la guerre et aux destructions qui ont des retombées néfastes dans tous les pays environnants.

On ne peut ici, en ce début septembre, que déplorer la dégradation des relations entre la Russie et l’Occident au sujet de l’Ukraine, qui compromet la coopération indispensable pour résoudre les conflits en Syrie et en Irak et affronter ensemble les menaces de l’Etat islamique sous ses multiples aspects.

C’est une raison de plus pour parvenir à un accord de paix et de reconnaissance réciproque entre Israël et la Palestine, appuyée sur leur filiation commune en Abraham partagée avec les chrétiens. Que tous les croyants s’engagent par la prière et l’action pour le promouvoir. Et que les autorités spirituelles des trois familles abrahamiques fassent pression sur les responsables politiques de leurs pays respectifs pour qu’ils aient la sagesse et le courage de prendre les décisions qui amènent la paix. Quel signe fort ce serait pour la région et le monde !

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